Colombie, la paix enfin ?
Le 26 août 2016, le gouvernement colombien et la guérilla des FARC (Forces Armées Révolutionnaires de Colombie) signent un accord de paix historique mettant fin à l’un des plus anciens conflits armés du monde. Tenues à La Havane (Cuba), les négociations amorcées en 2012 cherchent à tourner la page d’un demi siècle de violence laissant derrière lui plus de 260 000 victimes, près de 7 millions de déplacés et au moins 60 000 disparus.
Pourtant rejetés à une faible majorité par le peuple le 2 octobre, les Accords de Paix sont finalement adoptés « en force » par la voie parlementaire fin novembre. Débute alors pour le pays un processus de post-conflit qui laisse présager une inéluctable amélioration de la situation même si les obstacles à l’installation d’une paix définitive et durable sont encore nombreux.
A l’heure où les 7000 combattants des FARC ont déjà rejoints les campements de démobilisation répartis sur le territoire, et alors qu’une nouvelle table de négociation s’est installée à Quito (Equateur) avec la seconde guérilla du pays, l’ELN (Armée de Libération Nationale), la paix semble peu à peu percer les frondaisons de la jungle colombienne…
Une rétrospective du conflit : entre cycles de violence et négociations avortées
Si pour beaucoup le conflit colombien débute au milieu des années 1960 avec la création des principales guérillas, les avis des historiens divergent, le faisant remonter pour certains dès l’indépendance en 1819. Ce qu’il faut comprendre c’est qu’en Colombie la violence est certes issue d’affrontements idéologiques et politiques mais qu’elle puise surtout ses racines dans des disparités géographiques, économiques et sociales qui perdurent depuis la colonisation.
Les tensions se cristallisent tout particulièrement en 1948 avec l’assassinat à Bogota d’un leader charismatique libéral, Jorge Eliecer Gaitan, favorable à la mise en œuvre d’une réforme agraire ; la capitale s’embrase alors.
Les affrontements entre libéraux radicaux, les « gaitanistes », et conservateurs se propagent dans tout le pays et ouvrent la sombre période de « La Violencia », une effusion de sang d’une décennie au cours de laquelle plus de 300 000 colombiens perdent la vie. En 1958, le régime autoritaire de Rojas Pinilla (qui fomente un coup d’Etat en 1953) est remplacé par le Front National, une alliance entre les élites libérales et conservatrices qui décident de se partager le pouvoir tous les 4 ans. Entre temps, les dissidents libéraux ont pris le maquis et constituent l’embryon des futures guérillas.
Au cours des années 1960, les différents groupes dissidents et le parti communiste, exclus de toute participation politique, vont se consolider, sur fond de Guerre Froide alors que quelques années auparavant, le régime castriste à Cuba avait donné l’exemple d’une révolution réussie.
En 1964, le bombardement de Marquetalia par les forces gouvernementales, soutenues par les Etats-Unis, marque la naissance d’une guérilla unifiée d’origine paysanne qui prendra en 1966 le nom de Force Armée Révolutionnaire de Colombie (FARC).
Dans le même temps, les guérillas de l’ELN (Armée de Libération Nationale) et de l’EPL (Armée Populaire de Libération) vont se constituer. Le conflit s’envenime alors que d’autres guérillas apparaissent, conjointement à la montée en puissance des narcotrafiquants qui s’organisent en cartels et à l’émergence de groupes paramilitaires.
Ces derniers, véritables milices de mercenaires à la solde des propriétaires terriens et des politiciens corrompus, vont mener « la guerre sale » déclenchant dans tout le pays des opérations de contre-guérillas avec la complicité parfois de l’armée régulière.
Dans les années 1980, les premières négociations entamées avec les FARC aboutissent à un cessez-le-feu et à la création de l’Union Patriotique, parti politique de la guérilla. Très vite, ce parti va être décimé par ses opposants, relançant un cycle de violence. Les années 1990 sont marquées par une intensification du conflit malgré la démobilisation d’une guérilla urbaine, le M19.
En 1998, le gouvernement d’Andres Pastrana ouvre à nouveau des négociations avec la première guérilla du pays (une trentaine de milliers de combattants à cette époque) dans la région du Caguan.
Malheureusement, une fois encore les velléités de paix ne débouchent pas sur un accord et les belligérants reprennent les combats. L’arrivée au pouvoir d’Alvaro Uribe en 2002 va marquer un tournant. Certes Uribe va réduire considérablement les effectifs de la guérilla, aidé par le Plan Colombia (aide financière et militaire des USA mise en place en 2000) mais sa politique de la « mano dura » va avoir des répercussions néfastes sur tout le pays.
Les groupes paramilitaires pullulent malgré un accord de démobilisation négocié avec le gouvernement en 2005. Les FARC multiplient les attentats et les enlèvements. L’Etat et l’armée commettent des exactions macabres comme le scandale des « Falsos Positivos » (les Faux Positifs) où des milliers de civils furent revêtis d’uniformes guérilleros pour gonfler les chiffres du maintien de la sécurité. D’autre part, les régions rurales du pays sont gravement touchées, se retrouvant quotidiennement entre deux feux. Les paysans et les peuples indigènes pâtissent des fumigations effectuées par l’armée pour éradiquer les cultures de produits illicites, voyant leur cultures traditionnelles dépérir dans le même temps. La violence se généralise et les civils, de plus en plus touchés, commencent à se structurer en associations de victimes, incarnant le « ras-le-bol » général face à un conflit qui semble sans issue.
Lorsqu’en 2010, Juan Manuel Santos, ex-ministre de la Défense d’Uribe, se présente aux élections présidentielles, tout le monde s’attend à ce qu’il soit le dirigeant qui mettra en déroute les guérillas mal en point. Pourtant, une analyse fine de la situation amène forcément à considérer que la solution au conflit ne peut être alors militaire étant donnés l’état catastrophique du pays après 8 années de guerre sans merci et les enjeux socioéconomiques qui font le terreau de la contestation (isolement de certaines régions, inégalités économiques criantes, concentration des terres agricoles, etc). Santos, fraîchement élu, l’a compris. Le grand tournant est amorcé secrètement puis officiellement à Oslo où les discussions débutent en 2012 avant d‘être délocalisées à La Havane.
A La Havane, la paix pas à pas
Après la signature d’un Accord Global en 2012 qui fixe les conditions des négociations de paix, un marathon s’engage entre les deux délégations.
Les Accords de paix se concluent en 5 étapes majeures :
- Un accord sur une réforme rurale intégrale qui prend en compte les revendications et conditions de vie d’une large partie de la population.
- Un accord sur la participation politique des FARC, condition essentielle pour la guérilla qui administre de fait certaines parties du territoire où l’Etat a toujours été absent.
- Un accord sur le remplacement des cultures illicites (coca, marijuana, pavot) et la diminution des trafics, principale source de financement des groupes armés.
- Un accord sur les victimes et leur intégration au processus de paix selon des principes de vérité, justice et réparation.
- Un accord sur la fin du conflit qui pose les conditions du cessez-le-feu entre les deux parties et de la démobilisation des FARC.
Les Accords de Paix ont été salués à travers le monde comme un exemple de négociation aboutie. Le texte prévoit en effet une quantité de mesures visant à transformer le pays en profondeur. A La Havane, un accent tout particulier à été porté aux victimes, aux minorités et aux femmes notamment, afin de générer un souffle de réconciliation et d’espoir chez les populations les plus vulnérabilisées par la guerre.
Juan Manuel Santos, Prix Nobel de la Paix en 2016, avait fait de la paix son cheval de bataille lors de la campagne pour sa réélection en 2014. Après des années de conflit meurtrier qui avaient paru isoler la Colombie du reste du monde et contribué à construire tout un imaginaire négatif autour du pays, la paix constitue véritablement une opportunité immense à de multiples égards. Depuis quelques années, le pays ne cesse de s’ouvrir et de se développer.
Economiquement, tous les voyants sont au vert, et l’économie du pays semble profiter nettement des bienfaits de la diminution de la violence. La majeure partie du territoire a été sécurisée et le tourisme se développe à grande vitesse. Pour autant, la Colombie n’a rien perdu de son authenticité. Courez-y !
Le chemin qu’il reste à parcourir
Comme en témoigne le rejet populaire des Accords de Paix en octobre dernier, la société colombienne reste toujours fortement divisée, notamment par l’opposition agressive du sénateur Uribe (ex-président) à l’égard du gouvernement Santos et de ses velléités de paix. Par ailleurs, les Accords, promesses jetées sur le papier, doivent se convertir en actes pour ne pas générer de frustrations.
Aujourd’hui, pour que la paix s’installe concrètement et puisse perdurer, l’enjeu est de générer un climat favorable à la paix social et à la réduction des inégalités, facteurs de tensions, d’insécurité et d’illégalité. La mémoire et la réconciliation apparaissent enfin comme deux étapes clés, exigeantes mais nécessaires, pour parvenir à panser les plaies du passé et pouvoir penser l’avenir.
Texte d’Eliott Brachet